Olivier Dussopt, ministre du travail, menacé d’un procès dans une affaire de marché truqué au profit du groupe Saur, géant français de l’eau
En première ligne avec la réforme des retraites, le ministre du travail vient de recevoir un rapport d’enquête accablant du Parquet national financier, qui le soupçonne d’un délit de favoritisme avec l’un des géants français de l’eau, selon des informations de Mediapart. Une nouvelle qui tombe au pire moment pour l’Élysée et Matignon.
Olivier Dussopt ne pouvait imaginer pire calendrier. Selon des informations de Mediapart, le ministre du travail, en première ligne politique et médiatique avec la réforme des retraites, a reçu ces derniers jours un rapport d’enquête accablant du Parquet national financier (PNF), qui le soupçonne d’un délit de favoritisme sur un marché truqué avec l’un des géants français de l’eau, le groupe Saur.
La nouvelle, qui n’a pas tardé à circuler discrètement au sein du gouvernement, suscite le plus grand des embarras à l’Élysée et à Matignon, où le président de la République et la Première ministre voient leur ministre le plus exposé sur la réforme des retraites être désormais affaibli par des accusations formelles d’atteintes à la probité, en plus d’une forte contestation sociale dans la rue.
Mais le fait qu’Olivier Dussopt soit dans le viseur de la justice financière est tout sauf une surprise pour l’exécutif. À la suite de révélations de Mediapart sur des libéralités de la Saur en faveur d’Olivier Dussopt, le PNF avait ouvert en juin 2020 une enquête préliminaire pour vérifier la nature exacte des relations entre l’homme politique, du temps où il était député et maire d’Annonay (Ardèche), et le groupe privé.
Au moment de nos premières révélations, Olivier Dussopt était secrétaire d’État en charge de la fonction publique. Il a été promu ministre du travail en mai 2022 alors que l’enquête judiciaire était déjà ouverte.
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Mediapart avait raconté dans son enquête qu’Olivier Dussopt s’était fait offrir, en 2017, deux œuvres de son peintre préféré, Gérard Garouste, par un dirigeant de la Saur, alors en affaires avec la municipalité dirigée par le même Dussopt. Après avoir évoqué auprès de Mediapart un présent offert par un « ami » – ce que l’« ami » démentait –, le ministre avait fini par reconnaître un « cadeau de l’entreprise » et annoncé la restitution des œuvres.
Après analyse juridique, le PNF a estimé que la valeur des lithographies de Garouste – moins de 1000 euros au total – n’était pas suffisante pour caractériser un éventuel délit de corruption initialement envisagé. Mais la justice a découvert que ce cadeau s’inscrivait en réalité dans une longue traîne de relations potentiellement compromettantes entretenues par Olivier Dussopt avec la Saur.
À l’occasion d’une perquisition menée chez le ministre, les enquêteurs de l’Office anticorruption (OCLCIFF) de la police judiciaire ont notamment mis la main sur des échanges entre Olivier Dussopt et l’entreprise semblant laisser peu de doute sur l’existence d’un arrangement autour d’un marché public daté de 2009-2010, d’après nos informations.
Une période de contradictoire ouverte à l’automne
Le PNF a mis un terme à ses investigations à l’automne dernier, ouvrant ensuite une période dite de contradictoire avec Olivier Dussopt et ses avocats. Et c’est à l’issue de celle-ci que les procureurs spécialisés ont rédigé un rapport définitif, concluant, de leur point de vue, à la commission du délit de favoritisme par le ministre. C’est ce document final qu’Olivier Dussopt a reçu ces derniers jours.
D’après le Code pénal, le délit de favoritisme, qui entre dans le champ des atteintes à la probité, est passible de deux ans d’emprisonnement et 200 000 euros d’amende. Comme toute personne mise en cause judiciairement, Olivier Dussopt est présumé innocent.
Sollicité par Mediapart pour réagir au soupçon judiciaire qui pèse ouvertement sur lui, le ministre n’avait pas donné suite au moment de la mise en ligne de cet article. Contacté à son tour, le groupe Saur, également destinataire du rapport du PNF – il est soupçonné d’être le receleur du délit présumé –, n’a pas non plus répondu.
Concernant la procédure, il revient désormais à la justice d’émettre à l’encontre du ministre une citation directe valant formellement renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris.
Sollicité pour commenter la situation, le PNF n’a pas souhaité s’exprimer.
Le groupe Saur est le numéro 3 français du traitement de l’eau, derrière Veolia et Suez. Le groupe réalise 1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires et emploie plus de 11 000 personnes dans le monde.
Comme Mediapart l’a déjà raconté, l’entreprise entretient des liens importants avec la commune d’Annonay depuis plusieurs décennies. Le groupe a longtemps été délégataire du service de l’eau. Mais après un rapport défavorable de la chambre régionale des comptes en 1998, puis sous la pression de l’Association des usagers de l’eau de la région d’Annonay, Olivier Dussopt, élu maire de la ville en 2008, n’avait pas prolongé le contrat d’affermage avec la Saur, arrivé à échéance fin 2009.
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Il avait décidé de passer en régie publique, tout en signant avec la Saur un contrat de prestation de service pour cinq années pour l’exploitation des ouvrages d’eau potable (comprenant fonctionnement, surveillance, entretien des ouvrages, et gestion clientèle du service). Ce contrat, renouvelé en 2016, lui avait attiré les foudres de l’association des usagers de l’eau de la région d’Annonay, qui avait dénoncé un « tour de passe-passe ».
En 2011, l’association s’était aussi inquiétée de voir la Saur sponsoriser la « lettre » distribuée aux citoyens par le député de la deuxième circonscription de l’Ardèche. « C’est choquant car, au final, c’est bien l’usager qui paye ces publicités avec sa facture d’eau, et qu’en faisant le choix de financer ses publications par ce moyen, le maire d’Annonay se rend prisonnier d’une certaine logique », expliquait l’association dans un communiqué.
Alors questionné par Mediapart, le ministre avait pris ses distances avec cette publication, réalisée par « une société spécialisée dans l’édition de telles publications ».
Participant à une émission de Mediapart le 4 janvier 2017, Olivier Dussopt considérait qu’un élu condamné après avoir « utilisé les prérogatives qui étaient les siennes pour s’enrichir, pour détourner, pour dévier et vicier l’intérêt public et bafouer l’intérêt général », « ça devrait être éliminatoire ».
Fabrice Arfi, Antton Rouget, Ellen Salvi et Marine Turchi
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